Apprendre à dire adieu
C’est une vilaine chose qui est venue se loger dans sa bouche, dans sa mâchoire. Cela vient mâchouiller mon cœur. Cette chose déforme son minois de minette, lui ouvre la gueule, lui tord la langue. Dans une patience infinie de félin, elle subit l’affront, se délecte comme elle peut de sardine écrasée, d’une caresse aimée, d’un rayon de soleil sur le pas de la porte. Le seuil de la porte. Un seuil, un linceul bientôt.
Nous serons alors bien seuls.
Mais aujourd’hui, elle est posée, là. Présente. La douleur, vécue dans sa dignité féline, silencieuse. Mon cœur s’est enrhumé, est embrumé de chagrin, une brume lourde et épaisse. Cela va plus vite que je n’osais l’imaginer. Et cela ne manque pas de me rappeler ton départ, à Toi. Le constat, inexorable, que la vie vient te reprendre. Et dans ce scénario-là, s’attache à t’affaiblir. Son projet : te faire partir, plus légère et les pieds nus. La souffrance, la douleur, venant ronger le corps comme les vagues érodent les falaises, les émiettent. Alors, chaque miette compte en ces instants, sais-tu. Une miette, c’est aussi la grâce d’un doux ronronnement reconnaissant, une sardine savamment écrasée, avalée jusqu’à la dernière miette, la grâce d’un regard, d’une sensation perçue, un temps suspendu entre visible et invisible. Au tressaillement de la fin d’une vie, les larmes roulent, polissent nos cœurs. Un corps se meurt. Les cœurs saignent, puis n’ont d’autre chemin que celui de chérir la vie qui reste, même en miette. Et de servir. Accueillir le vide laissé par le plein chagrin. Parce qu’un chat, un jour, est venu mettre son grain de sel dans votre vie, l’a embellie. Il/elle vous a patiemment apprivoisé, vous a accompagné, vous a aimé.
Se mettre au service.
Mais pour l’instant, là, c’est moi qui ai mal à la gueule, mon cœur gueule de rage dans une impuissance féroce, retient son hurlement de louve perdant l’un des siens. Pour l’instant, là, c’est moi dont le crâne se déforme, la salive explosive, le nez morveux. C’est comme ça, la vie ça te liquéfie sur place parfois. Et un jour, c’est ce monde aqueux qui pourrait bien te manquer. Si, là, pour l’instant, j’ai le cœur piteux, c’est parce qu’il est touché par l’amour, et qu’il est relié. Lien d’amour, c’est aussi cela. C’est à cette source-là qu’il me faudra puiser et rassembler tout le courage possible pour accompagner sa fin de vie, décider du moment. Finir
Je vois comme il m’est terriblement difficile de mettre un point final
J’accepte, que pour l’instant, c’est difficile pour moi
Cette illusoire envie qu’il n’y ait pas de point
Je pose de la tendresse et de la compassion. Elle sait. Elle sait que je vois. Elle sent. Elle sent bien qu’elle s’en va. Je lui ai promis de l’aider, mais j’ai aussi des scrupules à l’idée de mettre un point trop tôt, ou trop tard. Décider que le moment choisi sera le bon moment, le moment juste, qu’il sera temps. Et que la douleur est inévitable. Je crois que mes larmes viennent de là. D’une volonté illusoire de me préserver de la douleur. Je sens qu’il ne va pas falloir trop tarder. Cela devient vraiment délicat et peu glamour pour elle de se nourrir, de baver, d’avoir la gueule ouverte 24/24 ; cela devient une torture pour moi de me demander, quand ?
Déjà, je pose cela ici. Et je respire. Je remets un peu d’espace.
Pour Mimi, la maladie lui déforme peut-être le visage, mais s’il reste ouvert, cela lui laisse aussi un large sourire. Un sourire un peu idiot et bienheureux. J’imagine bien aux vues de l’attitude de la véto que l’animal ne le vit pas comme cela. Pourtant, et c’est assez dingue de se dire là, en cet instant, qu’Elle se meurt comme elle a vécu, aimante, souriante. C’est beau un chat qui sourit du bonheur d’être là. Et puis il faut dire que la Mimi, elle a toujours eu son caractère et elle a bien défendu son territoire, et s’est bien occupée de ses humains d’amour. Sa nouvelle mine lui confère aussi un petit côté bulldog fidèle, babines aux vents, et baves aériennes. C’est toujours elle. Puisse-t-elle emporter avec sourire et tendresse un bout de notre compagnonnage d’amour, d’amitié et de soutien mutuel pour sa grande traversée dans les étoiles. Puissé-je être soutenue, et pas trop seule pour vivre cela….
Mon Dieu que cet animal à de la place dans mon cœur ! que cette poussière d’étoile à venir a mis de l’amour dans ma vie. C’est forte de cette gratitude que je me tiendrai près d’elle pour accompagner son dernier souffle. Écrire, pour se donner du courage.